Pour la Journée Internationale des Femmes, le 8 mars 2017, la revue Dalloz Etudiant a interviewé Mathilde JOUANNEAU, avocate et Présidente de l’Association Femmes et Droit.
Le Défenseur des droits vient de publier son rapport annuel d’activité en février 2017. Au total, 5 203 réclamations concernant des questions de discrimination au travail ont été portées à sa connaissance en 2016 (+ 7,4 % par rapport à 2015). Le rapport pointe notamment les discriminations à l’égard des femmes enceintes, professions libérales. Mathilde Jouanneau, avocate et présidente de l’Association Femmes et droit, a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles sont les activités de l’association Femmes et Droit
Femmes et Droit est une association nationale d’avocates dont l’objet est de promouvoir la place des femmes dans notre profession, en assurant leur représentativité au sein de nos institutions professionnelles et en luttant contre toute forme de discrimination que ce métier leur réserve encore.
Les avocates, plus nombreuses que les avocats, souffrent encore de sexisme, (dénoncé de façon criante par le Tumblr « Paye ta robe » par exemple), de discrimination dans leur évolution de carrière, et quittent toujours trop rapidement une profession qu’elles aiment mais qui ne les protègent pas encore assez dans leurs droits, notamment à l’occasion de leur maternité.
Femmes et Droit milite inlassablement en faveur de la féminisation de nos institutions, œuvre pour présenter des avocates aux élections professionnelles, les soutient dans leurs campagnes électorales et au sein de nos institutions.
Nous avons notamment ainsi contribué à la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui instaure la parité au sein des conseils de l’Ordre. Cependant, les avocates demeurent sous représentées dans nos institutions (Conseil National des Barreaux, Ordre, Commissions) n’accédant pas à égalité avec les hommes, au poste de direction, nous avons encore des efforts à faire pour que cette parité, cette égalité soit réelle.
En instituant cette parité dans le cœur de nos institutions professionnelles, nous pouvons travailler à plus d’égalité au cœur même de notre profession.
À cette fin nous sommes fières de la création de la Commission Égalité au sein du CNB et de son travail sous la présidence de notre élue Clotilde Lepetit.
La commission Égalité a travaillé pendant toute cette mandature (2014-2017) notamment pour faire adopter par les cabinets d’avocat une charte RSE [Charte de Responsabilité Sociale et Environnementale] et des outils diagnostics pour mesurer et promouvoir l’égalité et la diversité au sein des cabinets.
Notre travail a porté ses fruits. Le CNB vient d’adopter à l’unanimité la charte et l’outil auto diagnostic lors de son Assemblée générale du samedi 4 mars 2017 qui en matière d’égalité des sexes prévoit notamment :
« Le cabinet s’engage dans une politique volontariste en matière d’égalité hommes/femmes :
Il se pose systématiquement la question de la parité lors de l’intégration d’un ou d’une associé(e) dans la structure,
Il se pose systématiquement la question de la parité lors d’une évolution au sein de la structure ou lors de la désignation d’un avocat au sein d’une instance décisionnelle de la structure,
Il tient compte, à chaque décision relative aux instances de réflexions ou/et de décisions des cabinets, du critère de la représentativité en fonction des avocat(e)s qui exercent dans la structure ».
Cette charte des bonnes pratiques prévoit également des engagements en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie privée, et notamment à l’occasion de la venue d’un enfant.
Quelles sont les difficultés professionnelles rencontrées par les avocates lorsqu’elles sont enceintes ?
Les avocates rencontrent encore malheureusement des difficultés professionnelles et pas seulement quand elles sont enceintes !
Nous déplorons toujours au sein de notre profession des inégalités de rémunération impressionnantes et l’existence d’un plafond de verre ne permettant pas aux avocates d’accéder aux postes d’associés.
À cet égard la maternité, la grossesse comme la naissance des enfants, est vécue comme un frein à la carrière, tant dans la création de cabinet que dans l’association dans les structures.
Nous constatons également, même si cela peut paraître moyenâgeux, que la maternité peut entrainer (sous couvert d’autres motifs), la rupture de contrat de collaboration ou la « mise au placard » d’avocates au retour de leur congé maternité…c’est ce qu’a pointé du doigt le Défenseur des droits dans son dernier rapport d’activité !
L’intervention du Défenseur des droits dans ces affaires soumises aux juridictions ordinales a permis de dénoncer publiquement ce traitement discriminatoire ; il a invité nos ordres à sanctionner plus fermement ce type de comportement !
Quels sont leurs recours ?
La profession a instauré (tardivement mais depuis plusieurs années) une protection des femmes enceintes contre la rupture de leur contrat.
Femmes et Droit a travaillé à la conception de ces textes et à leur évolution pour qu’existe d’abord dans notre règlement intérieur une réelle protection de l’avocate enceinte, et la progression des droits (congé parental, durée et indemnisation) des avocats futurs parents !
Ce travail en amont est essentiel pour pouvoir exercer des recours contre ces situations discriminatoires et interdites.
Les avocates victimes de ces discriminations peuvent comme tout citoyen saisir le Défenseur des droits, mais aussi dénoncer (et elles doivent le faire) à nos instances professionnelles le comportement du cabinet, la rupture ou le traitement discriminatoire. Leur cabinet, responsable de ces faits, devra les indemniser et pourra être sanctionné disciplinairement.
Comme dans toute affaire de discrimination, les avocates victimes de ce type de traitement, sont confrontées à un problème de preuve, mais nos ordres disposent aussi de pouvoirs d’investigation, moindres que ceux du Défenseur des droits, mais qu’il conviendrait de mettre en place plus souvent !
Femmes et Droit les soutient dans leurs démarches et les défend devant nos différentes juridictions ordinales ou judiciaires.
Est-ce que l’arsenal juridique, notamment avec l’action de groupe, est suffisant pour lutter contre les discriminations ?
Lutter contre les discriminations subies par les avocates enceintes, c’est aussi en amont, œuvrer pour une vraie reconnaissance sociétale de la parentalité en lieu et place de la sacro-sainte maternité.
Encore et toujours faire avancer les mentalités, et par exemple en instaurant et en mettant réellement en place les congés paternité au sein des cabinets d’avocats.
En travaillant sur la parentalité, et sur la reconnaissance sociale de droits parentaux, et non maternels, nous militons aussi en faveur d’un respect égalitaire face à la parentalité et pour le combat contre la discrimination.
C’est aussi le but de la charte RSCE, dans un cadre de Soft Law : convaincre les cabinets qui restent réticents à instaurer la parité dans leur structure et à la faire vivre réellement, car c’est une chance en plus d’une responsabilité sociétale.
Quant à l’arsenal juridique pour lutter contre les discriminations, malgré le dispositif juridique mis en place au cours des quinze dernières années et en dépit des actions de la Halde puis du Défenseur des droits, la lutte contre les discriminations en France n’apporte toujours pas les résultats escomptés.
Si l’action du Défenseur des droits, notamment à travers l’exercice de son pouvoir d’intervention devant les juridictions, a permis de faire évoluer la jurisprudence, force est de constater que la discrimination à l’embauche, phénomène de grande ampleur, ne trouve toujours pas de réelle traduction judiciaire et que l’action pénale reste plus que marginale.
Le renforcement du cadre juridique en 2016 devait permettre de répondre au défi qui découle de ce constat. Il reste cependant à craindre que l’action de groupe en matière de discrimination, mise en place par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, ne résolve pas toutes les difficultés.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Mon meilleur ou mon pire souvenir d’étudiant
Mes cours en droit des obligations, la découverte du raisonnement juridique et les multiples possibilités du Droit au service de la défense : la magie du Droit.
Mon héros de fiction préféré
Kill Bill, la mariée personnage incarnée par Uma Turman dans les deux films de Tarentino.
Mon droit de l’homme préféré
Les droits de la femme…. , et tout simplement :
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
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